Christophe Barge – Associé Fondateur d’IDP Partners
Fabrice Blanc – Head of Group Strategic Alliances d’OAKland Group
Peut-être 2003 sera-t-telle considérée un jour comme l’est 1492, une date charnière dans l’histoire de l’humanité. En 1492, les explorateurs, dans le sillage de Christophe Colomb, partirent à la découverte de ce que les cartes nommaient encore « Terra Incognita ». C’est en quelque sorte ce qui se produisit au tournant des années 2000, avec la révolution de la donnée. Nous sommes, peu à peu, partis à la découverte d’une autre Terra Incognita : l’Homme…
Depuis des millénaires, celui-ci gardait ancré au fond de lui, et de ses pensées, un vaste territoire secret composé de rêves, de désirs, de peurs et d’espoirs. A partir des années 2000, en s’appuyant sur une triple révolution autour de la donnée, de nouveaux explorateurs décidèrent d’en percer les secrets.
Première révolution : le Stockage
Cette ambition, qui pouvait sembler au départ démesurée et vouée à l’échec, fut rendue possible par trois changements concomitants dans la révolution digitale.
En premier lieu, c’est la capacité de stockage qui connut une révolution avec l’apparition des supports digitaux. Soudain grâce à ses nouveaux supports, notre capacité de stockage de la donnée ne fut plus limitée, ni couteuse. Nous n’étions plus restreints par la taille des bibliothèques et le nombre de livres que nous pouvions y entreposer. Tout d’un coup l’Encyclopédia Universalis tenait sur un CD ROM et les 25 volumes physiques paraissaient inutiles….
Seconde révolution : l’analyse du Big Data
La seconde transformation eut lieu au cours de l’année 2003, notamment grâce aux progrès des ingénieurs de Google, qui ouvrirent la voie à une révolution dans notre capacité de traitement et d’analyses de grandes masses de données. Jusque-là, pour rechercher quelque chose dans une base de données, celle-ci se devait d’être organisée et préparée dans un but précis. Il était hors de question de pouvoir faire des recherches, ou tirer des informations de grandes masses de données non structurées. A partir de cette date, nous avons pu non seulement traiter des grandes quantités de données structurées, mais aussi non structurées. De plus, le coût de ce traitement n’a cessé de chuter. Dans les 15 années qui ont suivi, il s’est effondré d’un facteur 7’000, ce qui a changé la donne économique et a permis à des petites entreprises d’utiliser et analyser la donnée désormais accessible, et en tirer les bénéfices pour leurs activités.
Troisième révolution : la Production de Données Personnelles
La troisième transformation advint au tournant de 2007 avec l’apparition de l’iPhone, et elle fut probablement l’élément majeur de cette révolution. L’avènement et la combinaison des smartphones et des réseaux sociaux allaient faire accélérer quelque chose de décisif : la production en masse des données personnelles.
Pour la première fois dans son histoire, l’humain allait être suivi individuellement, et en temps réel, et se voir produire quotidiennement des Térabytes de données sur ses déplacements, les sites sur lesquels il surfe, ses recherches, etc., en un mot : son comportement au quotidien.
Cette dernière transformation est une grande première dans notre saga de la donnée. Jusqu’à cette date, les données recueillies étaient quasiment toujours des données extérieures à l’homme. Alors qu’elles nous avaient permis de progresser sur le monde extérieur, l’homme, hormis pour les scientifiques (biologiste, médecins, psychanalystes…), restait largement en dehors du champ d’observation permanent.
Smartphones & réseaux sociaux, des outils incontournables ?
Les smartphones, dûment soutenus par les réseaux sociaux, et toutes les informations que nous y introduisons négligemment sur nous (notamment via nos posts, cookies et données de signaux faibles), ont balayé tout cela, et depuis maintenant 13 ans nous offrent une production de données inédites sur nos comportements et nos actions.
Peu à peu, sans que nous y prenions garde, cela a tout changé dans nos vies quotidiennes.
Nos actions sont devenues étrangement prévisibles pour des tiers invisibles. Nous parlions à des gens dans la rue, dans un café, et soudain ils nous étaient proposés comme amis ou connaissances sur les réseaux sociaux. Nous arrivions dans un pays, et on nous proposait hôtels, restaurants ou bars qui au fur et à mesure que le temps avançait, correspondaient de plus en plus à nos goûts. Nos opinions politiques étaient devenues transparentes pour des algorithmes qui tentaient de faire et défaire des élections partout dans le monde, nos préférences amoureuses et sexuelles les plus intimes ne l’étaient plus, et des I.A se chargeaient de nous trouver le partenaire parfait…
En moins de 15 ans, ce qui était resté notre jardin secret, et qui fondait notre liberté, était soudain devenu un livre ouvert pour quelques géants de la « tech ». Les marchés d’ailleurs ne s’y est sont pas trompés en valorisant ces entreprises à des niveaux uniques dans l’histoire, jusqu’à en faire des puissances à l’égal des Etats les plus importants…
L’histoire de la donnée venait de connaitre son tournant le plus décisif, et avec elle l’histoire de l’humanité tout entière…
Cette série d’articles estivale se veut être un petit voyage dans l’histoire de la donnée pour revenir aux sources et pour essayer de mieux comprendre ce qu’elle est réellement aujourd’hui et tout le potentiel qu’elle détient.