Christophe Barge – Associé Fondateur d’IDP Partners
Fabrice Blanc – Head of Group Strategic Alliances d’OAKland Group
Ce qui reste peut-être encore aujourd’hui comme l’anecdote la plus célèbre sur la valeur de la donnée dans l’histoire du capitalisme demeure l’opération lancée par Nathan de Rothschild à la veille de la bataille de Waterloo…
Depuis des années Nathan de Rothschild avait constitué en ce début de 19e siècle une véritable armée d’agents secrets chargée de lui rapporter toutes les informations disponibles afin d’accroitre l’efficience de ses investissements.
A la veille de la bataille, entre deux géants, qui s’annonçait à Waterloo entre les forces de Wellington et de Napoléon, qui allait décider du sort de l’Europe, il plaça au plus près du champ de bataille, et dans les deux camps, des agents chargés de lui fournir des rapports les plus précis quant à l’issue de la bataille. A la fin de l’après-midi du 15 juin 1815, un agent pris un bateau pour rejoindre le plus rapidement possible les côtes anglaises où l’attendait Nathan en personne à qui il remit son rapport sur l’issue de la bataille…
Arrivé à Londres, Nathan rejoignit sa place habituelle à la Bourse de Londres, au milieu des traders. Adossé à ce qui devint le « Pilier Rothschild », il fit soudain signe à ses multiples agents de commencer à vendre de la Livre Sterling. Ce qui provoqua quasi instantanément une chute du cours de celle-ci.
Les autres acteurs voyant cela, en conclurent aussitôt que grâce à son réseau d’informateurs Nathan avait connaissance de la défaite de Wellington, et se mirent à vendre massivement leur position sur la Livre Sterling. Alors que celle-ci ne s’échangeait plus qu’à 5 centimes de dollars, Nathan fit un second signe, presque aussi imperceptible, à ses agents qui dans un même mouvement se mirent à racheter toutes les livres Sterling disponibles sur le marché à un prix défiant toute concurrence…
Quelques heures plus tard la nouvelle de la victoire anglaise arriva à Londres…La Livre Sterling se mit à flamber, et Nathan de Rothschild avait multiplié sa fortune par plus de vingt. Il avait ainsi posé son contrôle sur l’économie britannique….
Parmi les premiers usages de la donnée : la gestion du risque
Cette anecdote n’est que l’illustration la plus connue des liens entre l’exploitation de la donnée et le capitalisme qui existe depuis les débuts de celui-ci. La richesse des villes italiennes, basée sur le commerce avec l’Orient, rendue possible par les prêts accordés par les banquiers italiens, est dès le début fondée sur la donnée.
La donnée est nécessaire aux marchands pour appréhender au mieux les routes commerciales, les dangers et les délais, aux banquiers pour calculer leur niveau de risque, aux cités-états pour mettre en place la construction des navires nécessaires aux commerces, et calculer les taxes qui allaient entrer dans leur caisses…
La maitrise de la donnée, qualité indispensable du capitalisme
De l’expansion de la Compagnie des Indes Orientales à la crise de la Tulipe à Amsterdam en 1637, la donnée va se trouver au cœur de l‘expansion du capitalisme. Sa récolte, son stockage, sa transmission, son interprétation vont faire et défaire les grandes fortunes commerciales bien plus surement que la possession d’armée…
De petits états, comme les Provinces-Unies, vont, par sa maitrise, accumuler des richesses sans commune mesure avec leur taille. Les villes et les états, qui accueilleront les populations les mieux formées à la maitrise de celle-ci, vont voir leur influence croitre aux détriment de villes dénuées de ces talents.
Puis au début de la seconde révolution industrielle ce fut l’apparition des techniques de production prônées par Taylor, et mis en pratique notamment par Henri Ford. Pour industrialiser le processus, ils ont dû s’appuyer sur la donnée afin notamment de mesurer les gains de productivité de leur nouvelle approche…et ainsi révolutionner la manière de produire.
La finance, accélérateur de méthodes d’exploitation de la donnée
Cette évolution va se poursuivre avec comme fer-de-lance de l’utilisation des données, la finance, qui ne va pas cesser de professionnaliser son usage durant les deux derniers siècles, jusqu’à l’arrivée du trading algorithmique et de l’intelligence artificielle pour la gestion des portefeuilles boursiers. Cette année, « Aladdin », réseau d’investissement de BlackRock (le 1er fond de pension de la planète), qui utilise l’intelligence artificielle développée depuis des années, a vu son champ d’application étendu jusqu’à devenir le plus important des gérants de portefeuille de la firme. Elle est le symbole de ce que le Big Data et l’I.A sont en passe de changer dans le capitalisme.
Cette émergence de l’intelligence artificielle dans nos vies, n’est en fait que la suite d’un long processus de récolte et de traitement de la donnée. Alors que nous sommes aujourd’hui en mesure de collecter des données à chaque moment de la vie d’un individu, ce que nous offre la donnée n’est plus seulement une compréhension plus fine du monde qui nous entoure, mais bien une capacité d’analyse inédite des actions humaines, et en premier lieu de nos comportements économiques. En étant capable de mesurer en temps réel quasiment la moindre action humaine, nous développons la capacité d’en déduire les actions futures, et d’anticiper de manière de plus en plus précise les motivations d’achat…Les motivations humaines, restées mystérieuses des siècles durant, sont en passe de se dévoiler sous les assauts de la donnée.
Cette série d’articles estivale se veut être un petit voyage dans l’histoire de la donnée pour revenir aux sources et pour essayer de mieux comprendre ce qu’elle est réellement aujourd’hui et tout le potentiel qu’elle détient.